Classé Monument Historique en 1906, le Donjon de Vez est un lieu incontournable du patrimoine français. Situé au cœur de l’Oise, véritable forteresse médiévale, avec ses murailles, ses courtines, et ses mâchicoulis, le Donjon de Vez est devenu en 1987 un lieu dédié à la création contemporaine. Abritant un ensemble de sculptures monumentales, le Donjon et son parc, labellisé « Jardin Remarquable » par le ministère de la Culture en 2007, bénéficient d’une mise en valeur originale qui allie installations in situ et architecture féodale.
Le Donjon de Vez conjugue patrimoine et modernité, tel un interstice entre l’époque médiévale et contemporaine.
Le Donjon
Le donjon, haut de 27 mètres, et la chapelle jouxtant le logis de la cour intérieure, furent terminés à la fin du XIVe siècle par Louis d’Orléans, frère du roi Charles VI à qui le Valois fut donné en 1386.
On peut remarquer les éléments défensifs du lieu :
Les murs du donjon sont particulièrement épais (environ 2 mètres)
Il est flanqué, dans toute sa hauteur, de cinq cylindres en maçonnerie pleine qui monte des douves.
Du premier étage du donjon on accédait aux chemins de ronde des deux courtines par des petites portes bien défendues. Ainsi la garnison du donjon pouvait, en cas d’attaque, se répandre promptement sur les courtines, faisant face aux deux fronts qui seuls étaient attaquables.
La terrasse comporte des machicoulis reposant sur des consoles de pierre appelées « corbeaux ». Le sol de ces balcons laissent entrevoir des ouvertures d’où le défenseur faisait tomber pierres et matières incendiaires. On peut voir également de remarquables gargouilles à têtes d’animaux.
Avec un tel dispositif, une garnison de cinquante hommes arrêtait facilement un corps d’armée pendant plusieurs jours.
Le château de Vez était un fort destiné à constituer un des maillons d’une grande ligne de défense : Coucy-le-Château, La ferté-Milon, Pierrefonds et Montepilloy…
Les remparts et la chapelle
Des remparts entourent l’enceinte, des chemins de ronde, appelés aussi courtines, surplombent les remparts hauts de treize mètres environ.
La porte du châtelet se situe au milieu d’une courtine. Elle était défendue par deux tourelles se terminant en clocheton, et par un pont levis. Un fossé séparait le mur d’enceinte de la basse-cour.
Deux tourelles, bâties aux extrémités des courtines, servaient également à la défense. On y accédait par un escalier. L’une d’elle s’effondra dans les années 50.
On peut remarquer, flanquée sur un rempart, la tour Jeanne d’Arc, ainsi dénommée en souvenir du passage de Jeanne d’Arc à Vez. Celle-ci accourut dans le Valois en apprenant que le duc de Bourgogne cherchait à s’emparer des différents châteaux pour relier les Flandres à ses domaines de Bourgogne. Jeanne d’Arc gagne Crépy et de là « rodant en quelque sorte, autour de la ville, comme un chien de garde vigilant qui rassemble son troupeau » selon l’expression de Gabriel Hanoteau, elle bat la campagne de Senlis à Compiègne.
La chapelle, était consacrée à Simon de Vez, comte de Valois, qui figure sur un des vitraux, et dont les armes sont rappelées sur un tympan sculpté. Simon fut doté par son père en 1604 du château de Vez. Il épousa la fille du comte d’Auvergne et fit vœu de chasteté le soir de ses noces.
Comte de Vexin et de Valois, seigneur riche et puissant, Simon se fit simple moine et donna Vez, terres et château à sa sœur Adèle qui épousa Hubert IV, comte de Vermandois. C’est par ce mariage que furent réunis les comtés de Valois.
Au sous-sol de cette chapelle, se trouve la crypte, remarquable pièce voûtée à l’intérieur de laquelle on peut découvrir des sarcophages de l’époque gallo-romaine provenant des catacombes de Champlieu sur Oise.
Au rez-de-chaussée, on pénètre dans une grande pièce où l’on peut admirer de magnifiques fonds baptismaux provenant de la cathédrale de Morcourt sur Oise, un autel et à son coté deux tombeaux en marbre blanc où gisent Monsieur et Madame Dru, anciens propriétaires de Vez.
Léon Dru, né à Paris en 1836, était à la tête de l’importante entreprise de sondage à laquelle on doit, entre autres, les puits artésien de Grenelle. Il mourut en 1904, laissant en donation à l’Etat de grosses sommes d’argent qui permirent au gouvernement d’acquérir le château d’Azay-le-rideau ainsi que deux tableaux de Chardin (actuellement au Musée du Louvre. Léon Dru repose dans la chapelle de Vez à coté de sa femme. Sa tenue de cosaque rappelle ses nombreux séjours en Russie.
Emmanuel Frémiet (1824-1910) auteur de ces chefs d’œuvres, connu pour ses sculptures animalières (Dromadaire de 1847, chevaux et dauphins de la fontaine de l’observatoire en 1870).
En montant quelques marches, on arrive à un petit oratoire, d’où Jeanne d’Arc pouvait suivre la messe lors de son passage à Vez, puis à la « salle des gardes » qui s’ouvre par une très belle porte du XVIe siècle en noyer sculpté.
Au dessus de la salle des gardes, on découvre une dernière salle surprenante appelée « la salle Eiffel » car c’est le célèbre architecte Gustave Eiffel, qui en fit l’armature métallique, en forme de berceau.
La chapelle est dans son ensemble surmontée par une courtine, d’où la vue sur les environs est admirable.
Après Léon Dru, le château fut vendu par ses héritiers au Baron du Sault. Après la première guerre mondiale, il fut à nouveau cédé à Eugène Barbier.
Eugène Barbier voulut conserver à son château l’aspect de forteresse médiévale tout en voulant faire une résidence moderne dotée de tout le confort du XXe siècle.
L’entrée du Donjon, seul corps de logis désormais, fut fermée par une porte en fer forgé qui s’accorde parfaitement avec les sculptures à colonnettes et le fronton surmonté des armes du Valois.
La cour Bourdelle
Dédiée au sculpteur français Antoine Bourdelle, né en 1861, cette cour est un lieu de rencontre entre la nature et la sculpture. Des bronzes de l'artiste, prêtés par le Musée Bourdelle de Paris, prennent place dans un jardin de pommiers, conçu par le paysagiste Stéphane Ducoux en 2000.
Précurseur de la sculpture monumentale du 20e siècle, Antoine Bourdelle, qui fut praticien et collaborateur de Rodin, développe un style romantique en réaction à une sculpture devenue selon lui trop expressive.
Histoire et Architecture
Au cœur de la vallée de l’Automne s’élève le Donjon de Vez. Imposante forteresse médiévale dont l’origine remonte à l’époque gallo-romaine. Sous la domination romaine, Vez devint un camp militaire servant à défendre la Gaule contre les invasions Barbares.
Dès l’invasion des Francs, Vez devint un poste militaire à la tête d’une province. Après la bataille de Soissons en 486, Vez prit le titre de capitale d’un territoire et pendant cinq siècles, elle devint la capitale du Valois. Le château de pierre et de bois, dont il ne reste rien, dominait la vallée du haut de la colline.
En 1214 Philippe Auguste, roi de France, fit don de Vez à un certain Raoul Duchemin qui s’était distingué à la bataille de Bouvines en veillant spécialement sur sa personne. Raoul Duchemin traduisit son nom en latin et en fit « de Stratis » d’où le nom de Raoul d’Estrées. Nouveau seigneur de Vez, il devint maréchal de Rome. Le château fut fortifié et restauré sur un nouveau plan. Il fit construire le logis d’habitation où vivait le seigneur, qui comprenait trois étages, dont il ne reste que des pans de murs avec des cheminées en ruine. Il fit également élever des remparts du coté de la vallée et une enceinte du coté de la plaine.
En 1360, l’arrière petit-fils de Raoul d’Estrée Jehan de Vez construisit avec l’aide de la population le donjon pentagonal et la deuxième enceinte des remparts dans laquelle furent englobés les restes de l’ancien château. Il fut repris et fortifié par Louis d’Orléans au XIVe siècle et demeura pendant cinq siècles la capitale du Valois.
Eugène Viollet-le-Duc
Au XIXe siècle on redécouvre les architectures médiévales grâce à l’architecte Eugène Viollet-le-Duc et à l’écrivain Prosper Mérimée (devenu en 1834 inspecteur général des monuments historiques).
Viollet-le-Duc va réaliser de nombreuses illustrations et textes sur le patrimoine médiéval français qui vont être répertoriés dans le Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle et Dictionnaire raisonné du mobilier rédigés entre 1854 et 1875.
Viollet-le-duc va consacrer dans son Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle une partie au Donjon de Vez.
Il était peu de châteaux des XIVe et XVe siècles qui possédassent des donjons aussi étendus, aussi beaux et aussi propres à loger un grand seigneur, que celui de Pierrefonds. La plupart des donjons de cette époque, bien que plus agréables à habiter que les donjons des XIIe et XIIIe siècles, ne se composent cependant que d’un corps de logis plus ou moins bien défendu. Nous trouvons un exemple de ces demeures seigneuriales, sur une échelle réduite, dans la même contrée.
Le château de Véz relevait du château de Pierrefonds ; il est situé non loin de ce domaine, sur les limites de la forêt de Compiègne, près de Morienval, sur un plateau élevé qui domine les vallées de l’Automne et de Vandi. Sa situation militaire est excellente en ce qu’elle complète au sud la ligne de défense des abords de la forêt, protégée par les deux cours d’eau ci-dessus mentionnés, par le château même de Pierrefonds au nord-est, les défilés de la forêt de l’Aigle et de la rivière de l’Aisne au nord, par les plateaux de Champlieu et le bourg de Verberie à l’ouest, par le cours de l’Oise au nord-nord-ouest. Le château de Véz est un poste très-ancien, placé à l’extrémité d’un promontoire entre deux petites vallées. Louis d’Orléans dut le rebâtir presque entièrement lorsqu’il voulut prendre ses sûretés au nord de Paris, pour être en état de résister aux prétentions du duc de Bourgogne, qui, de son côté, se fortifiait au sud du domaine royal. Véz n’est, comparativement à Pierrefonds, qu’un poste défendu par une enceinte et un petit donjon merveilleusement planté, bâti avec le plus grand soin, probablement par l’architecte du château de Pierrefonds22.
Ce donjon (45) s’élève en A (voy. le plan d’ensemble), à l’angle formé par deux courtines, dont l’une, celle B, domine un escarpement B’, et l’autre, C, flanquée extérieurement d’échauguettes, est séparée d’une basse-cour ou baille E par un large fossé. Du côté G, le plateau descend rapidement vers une vallée profonde ; aussi les deux courtines HH’ sont-elles plus basses que les deux autres BC, et leur chemin de ronde se trouve-t-il au niveau du plateau sur lequel s’élevait un logis K du XIIe siècle presque entièrement rebâti au commencement du XVe. Ce logis, en ruine aujourd’hui, était une charmante construction. La porte du château, défendue par deux tours de petite dimension, est en I. On voit encore quelques restes des défenses de la baille E, mais converties aujourd’hui en murs de terrasses23. Le donjon est détaillé dans le plan du rez-de-chaussée X. Son entrée est en L, et consistait en une étroite poterne avec pont à bascule24 donnant sur un large escalier à vis montant de fond. Chaque étage contenait deux pièces, l’une grande et l’autre plus petite, munies de cheminées et de réduits. En P est un puits. On voit en F le fossé et en M l’entrée du château avec ses tours et son pont détourné. La courtine C est défendue par des échauguettes extérieures flanquantes O, tandis que la courtine B, qui n’avait guère à craindre une attaque du dehors, à cause de l’escarpement, était protégée à l’intérieur par des échauguettes flanquantes R. Par les tourelles SS’, bâties aux deux extrémités des courtines élevées, on montait sur les chemins de ronde de ces courtines au moyen d’escaliers. En V était une poterne descendant de la plate-forme sur l’escarpement. Quand on examine la situation du plateau, on s’explique parfaitement le plan du donjon d’angle dont les faces extérieures enfilent les abords du château les plus accessibles. Les tourelles d’angle montant de fond forment d’ailleurs un flanquement de second ordre, en prévision d’une attaque rapprochée.
La fig. 46, qui donne l’élévation perspective du donjon de Véz, prise de l’intérieur de l’enceinte, fait voir la disposition des échauguettes flanquantes R de la courtine B, la poterne avec son petit fossé et son pont à bascule, l’ouverture du puits, la disposition des mâchicoulis-latrines, le long de l’escalier, le sommet de l’escalier terminé par une tourelle servant de guette. Du premier étage du donjon, on communiquait aux chemins de ronde des deux courtines par de petites portes bien défendues. Ainsi la garnison du donjon pouvait, en cas d’attaque, se répandre promptement sur les deux courtines faisant face aux deux fronts qui seuls étaient attaquables. Si l’un de ces fronts, celui C, était pris (c’est le plus faible à cause de la nature du terrain et du percement de la porte), les défenseurs pouvaient encore conserver le second front B, rendu plus fort par les échauguettes intérieures R (voy. les plans) ; s’ils ne pouvaient garder ce second front, ils rentraient dans le donjon et de là reprenaient l’offensive ou capitulaient à loisir. Dans un poste si bien disposé, une garnison de cinquante hommes arrêtait facilement un corps d’armée pendant plusieurs jours ; et il faut dire que l’assaillant, entouré de ravins, de petits cours d’eau et de forêts, arrêté sur un pareil terrain, avait grand’peine à se garder contre un corps de secours. Or le château de Véz n’était autre chose qu’un fort destiné à conserver un point d’une grande ligne de défenses très-bien choisie. Peut-être n’a-t-on pas encore assez observé la corrélation qui existe presque toujours, au moyen âge, entre les diverses forteresses d’un territoire ; on les étudie isolément, mais on ne se rend pas compte généralement de leur importance et de leur utilité relative. À ce point de vue, il nous paraît que les fortifications du moyen âge ouvrent aux études un champ nouveau.
Telle est l’influence persistante des traditions, même aux époques où on a la prétention de s’y soustraire, que nous voyons les derniers vestiges du donjon féodal pénétrer jusque dans les châteaux bâtis pendant le XVIIe siècle, alors que l’on ne songeait plus aux demeures fortifiées des châtelains féodaux. La plupart de nos châteaux des XVIe et XVIIe siècles conservent encore, au centre des corps de logis, un gros pavillon, qui certes n’était pas une importation étrangère, mais bien plutôt un dernier souvenir du donjon du moyen âge. Nous retrouvons encore ce logis dominant à Chambord, à Saint-Germain-en-Laye, aux Tuileries, et plus tard aux châteaux de Richelieu en Poitou, de Maisons, de Vaux près Paris, de Coulommiers, etc.
22 Les profils du donjon de Véz, le mode de construction et certains détails de défense, rappellent exactement la construction, les profils et détails du château de Pierrefonds. Le donjon de Véz date par conséquent de 1400.
23 Ce domaine appartient aujourd’hui à M. Paillet ; le donjon seul sert d’habitation.
24 Cette poterne a été remplacée, au XVIe siècle, par une baie au niveau du sol.
Viollet-le-Duc
in Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle. Tome 5, Donjon